Contribution
au débat national sur l'école, collège de Meymac
(Corrèze) : missions de l'école, égalité des
élèves, autonomie des établissements |
Après vingt ans passés à tenter en vain, de me faire entendre, au sujet de la destruction progressive de l'école à laquelle j'ai assisté, toujours plus impuissante, je me réjouis d'avoir enfin le droit de prendre cette parole confisquée depuis trente ans.
J'insiste sur cette réalité que je n'exagère pas : durant
vingt ans, dans tous les établissements où j'ai travaillé,
chaque fois que je voulais tirer la sonnette d'alarme, souligner l'incohérence
et l'incompétence dans laquelle l'école s'enfonçait, je
me suis vu rétorquer cette phrase, toujours la même, dans des bouches
pourtant bien différentes et aux quatre coins de le France : " Madame
Labat ! Ce n'est ni le lieu ni le moment de tenir de tels propos ! "
Et nos élèves, pendant ce temps, arrivaient de plus en plus en
perdition dans nos classes... A ceux que cela intéresse, je ferai volontiers
passer cette recension faite par une collègue de lettres, des rédactions
écrites pas ses élèves, durant le test d'évaluation
national de 6ème, année scolaire 2002-2003. Vous obtiendriez les
mêmes à Meymac. Ces textes sont effarants par l'ignorance qu'ils
montrent de notre langue chez de jeunes enfants qui ont déjà suivi
cinq ans d'enseignement. Nous avons été jusqu' à écrire
un livre avec mon mari, un cri d'alarme qui a, plus ou moins retenti dans le
désert. Nous ne sommes pas les seuls. Un peu partout en France, des professeurs,
des instituteurs, des parents, s'inquiètent. Le constat d'échec
de notre école est consensuel. Nous sommes tous d'accord là-dessus.
Ce sont les solutions qui diffèrent.
I) La grave responsabilité des " pédagos et sociologues
de salon "et les réformes constantes et tous azimuts
En effet, depuis trente ans, le haut du pavé a été occupé
par des " experts " ignorants des classes et des élèves
mais voulant à toute force tout bouleverser, sans cesse et sans tenir
compte de la réalité du terrain. Leur discours, en apparence généreux,
et courageux parce qu'il cassait du profs, a eu, malheureusement, l'oreille
des medias, du SNES, syndicat majoritaire de l'Education Nationale et de la
direction de la FCPE.
Ce qui a sans doute contribué à induire en erreur tout ceux qui
ont cru en ce nouveau " pédagogiquement correct ", c'était
l'apparence objective, scientifique, des thèses avancées. Or,
ce fut la suprême imposture. En effet, si les sciences exactes, par nature,
progressent, vont de l'avant, innovent, la pédagogie, quant à
elle, n'a rien de scientifique. C'est un art personnel et empirique : une approche
qui fonctionnera avec tel enseignant, échouera avec un autre car la personnalité
de chacun est fondamentale dans la façon d'enseigner.
Je crois qu'il y a là un premier point-clé à souligner
: la casse de l'école est due à une erreur grave qui consiste
à traiter la pédagogie comme une science.
Las, contre à ce feu roulant de basses attaques et d'inepties pédagogiques
imposées, notre métier d'enseignant, notre savoir faire, nos réussites
face à nos élèves, n'ont pas fait le poids.
Philippe Meirieu est symbolique de cette caste nouvelle de pédagos hargneux
face aux professeurs, mielleux face aux parents, qui ont eu l'oreille des ministres
successifs ces dernières décennies. Ses émules sont partout
: conseillers pédagogiques venant polluer les instituteurs de leurs conseils
aberrants, directeurs d'IUFM, chercheurs à l'INRP : un institut qui se
pousse du col et dont les membres se prennent pour des scientifiques de haut
niveau. Ils ont inventé et imposé à l'université
une discipline nouvelle absurde : " les sciences de l'éducation
" et justifient leurs émoluments en inventant et en imposant ensuite
sur le terrain un vocabulaire prétentieux pour nommer des rôles,
et des actions pédagogiques simples. Ils ont affirmé que l'école
française allait très mal. Or, il y a trente ans, ce n'était
pas vrai : il y avait des dysfonctionnements, certes, en particulier un trop
grand autoritarisme, souvent aveugle, dans la façon d'orienter les élèves.
Mais, sur le fond, les enfants de France recevait un enseignement riche et de
qualité, et sortait de l'école en sachant lire, écrire
et compter. On a pourtant entendu à tout va le discours sur l'échec
scolaire gravissime dont souffrait notre pays. On a en particulier jeté
peu à peu la suspicion sur les enseignants et la casse de l'école
a été perpétrée sans que l'opinion s'en inquiète,
mal avertie et mal informée de ce qui était en train de se produire.
Des réformes incessantes ont donc peu à peu vidé l'enseignement
de ses contenus et, pis encore, rendu l'apprentissage de choses simples, de
plus en plus ardu pour nos enfants. Quel parent qui tente d'aider son enfant
actuellement n'est pas dérouté par ces façons totalement
obscures de poser et d'effectuer une opération simple, quel parent ne
s'inquiète-t-il pas aujourd'hui de voir son enfant en CP réciter
son manuel de lecture mais se montrer incapable de lire autre chose ? Combien
de parents autour de moi qui, en douce, apprennent le BA BA à leur enfant,
en douce car l'instituteur leur fait les gros yeux s'il l'apprend ?
J'ai assisté et subi moi-même, en effet, à une culpabilisation
de plus en plus flagrante des parents, enjoints de laisser faire des maîtres
dont les plus caricaturaux, hélas de plus en plus nombreux, nous disaient
avec assurance que la façon dont nous avions appris à lire et
à compter était désormais dépassée, ringarde,
réactionnaire même !
De la même façon, gare à celui qui, parmi les enseignants,
osait s'opposer aux réformes, qui osait dire publiquement que l'on faisait
fausse route, qu'au lieu d'aider nos élèves, on les enfonçait
un peu plus au nom d'une égalité des chances qui loin de s'affirmer,
s'éloignait toujours un peu plus ! Je l'ai vécu, Dieu merci seulement
de la part d'une frange marginale de collègues tandis que les autres,
hélas, résistaient souvent dans leur classe, mais en silence,
sans oser faire de vagues : j'ai été taxée de fascisme,
d'immobilisme, de corporatisme frileux…
Le pire fut cependant le fait, que très vite, tout ce qui tournait autour
de l'école et de la pédagogie fut politisé. Cela me semble
particulièrement grave car la pédagogie ne doit être ni
de droite ni de gauche. Cela me laisse penser qu'il ne devrait pas y avoir de
changement de ministre dans ce secteur au rythme des élections. Le ministre
devrait être quelqu'un d'indépendant, nommé pour longtemps
et non tenu de tout bouleverser dans les six mois qui suivent sa nomination
sous peine d'être taxé d'immobilisme par ses adversaires politiques.
L'école n'est pas une organisation comme les autres, nos enfants ne sont
pas des souris blanches à qui l'on peut faire supporter toutes sortes
d'expérimentations parce que l'on a une carrière politique à
mener et qu'on doit montrer spectaculairement que l'on agit.
Les réformes effrénées imposées depuis trente ans
ont donc détruit l'enseignement, ses contenus, ses exigences. (La loi
Jospin, en 1989 a sonné l'hallali en accélérant considérablement
ce processus de destruction).
Je pense donc que ce dont notre école a besoin aujourd'hui, c'est tout
d'abord d'un coup d'arrêt : arrêter tout avant qu'il ne soit trop
tard puis prendre le temps de la réflexion pour trouver la voie de la
reconstruction, non à l'identique, nous ne sommes plus sous Jules Ferry,
mais en préservant ce qui a fait l'excellence de notre école tout
en réfléchissant à la façon de faire bénéficier
le plus grand nombre de l'excellence, tant dans l'enseignement général
que dans l'enseignement professionnel. Or, ce qui me fait peur c'est que Luc
Ferry a fait partie des équipes de pédagos de salon des précédents
ministères, ce qui me fait peur c'est le discours de ces pédagos,
confortablement installés aujourd'hui à tous les postes clés.
Non contents de ne rien regretter,ils martèlent, urbi et orbi que si
l'école va mal, c'est que leurs idées n'ont pas été
appliquées suffisamment, qu'il faut simplement aller encore plus loin
dans leur application : pas de mea culpa donc mais une fuite en avant.
II) Le primaire en perdition
J'ai donc très peur de voir perdurer le tableau suivant :
En primaire, tout d'abord, il est urgent de se demander si le scandale de la
méthode de lecture semi-globale va continuer à être étouffé
? Cette méthode met KO un tiers des élèves. Combien d'instituteurs,
pourtant, prennent le temps de se renseigner sur les recherches et travaux accomplis
par de nombreux orthophonistes alarmés de voir leurs cabinets envahis
par des enfants équilibrés, parfaitement normaux et intelligents
et pourtant en échec au CP ?
Bien peu, car ils font confiance aux analyses des responsables de l'introduction
de cette méthode en France, qui imputent cet échec non à
la méthode mais aux élèves, à leur milieu et à
leurs familles. Les psychologues remplacent les enseignants. Votre enfant ne
sait pas lire ? C'est à cause de son rapport à la mère,
au père, ou autre absurdité : ce n'est jamais à cause de
ce qui se passe en classe. On culpabilise donc les gens à tort et à
travers. Il y a urgence à revenir à la méthode syllabique
remise au goût du jour par Michelle Sommer entre autres, une méthode
qui a le mérite d'être comprise par plus de 90% des élèves.
Il faut lui redonner ses lettres de noblesse. Les instituteurs doivent cesser
d'obéir aux ordres, se renseigner, se documenter au-delà du discours
tout prêt qu'on leur assène durant leur formation. Qui parmi eux,
en dehors de la poignée d'irréductibles passionnés par
leurs élèves, se remet vraiment en question, se documente pour
tenter de réduire l'échec lourd de leurs classes ? Lesquels ont
par exemple pris connaissance des travaux et des succès de la méthode
pratiquée à Genève par Claude Huguenin et qu'une poignée
d'instituteurs courageux expérimente avec succès ?
Il y a urgence, également, à revenir à un enseignement
de la grammaire digne de ce nom et non à ces rustines du type : "
si on peut remplacer par " avait " alors il n'y a pas d'accent sur
le a ". Nos enfants ont le droit de connaître la nature des mots
qui composent notre langue, unique moyen de comprendre en profondeur la logique
qui est sous-tendue dans l'orthographe. Certes, cela passe par des gammes parfois
fastidieuses, des exercices nombreux et répétitifs. Et alors ?
Les petits les font volontiers pour faire plaisir à leur instituteur
et aux parents. En quatrième, c'est bien trop tard.
Quand je vois l'orthographe chancelante de mon fils aîné, élève
latiniste de quatrième, dans le peloton de tête de sa classe, je
ne peux que m'inquiéter du niveau des autres et j'accuse l'école
de ne pas avoir, pour mon fils, fait son travail. Je vais même plus loin
: sa maîtrise du Français, de la lecture, de l'orthographe, c'est
à moi qu'il la doit. C'est seulement depuis la cinquième et grâce
à ses cours de latin (une option " ringarde " qui fait ricaner
la majorité de ses copains), que l'école l'épaule enfin
dans l'apprentissage de sa langue maternelle. Cette année, en quatrième,
il a la chance d'être tombé sur un professeur, qui, insoucieux
des instructions officielles, fait travailler ses élèves en grammaire,
via des dictées et des exercices. Je m'en réjouis mais c'est trop
tard : mon fils et ses camarades n'y mettent pas beaucoup de bonne volonté,
cela les ennuie car ils n'ont jamais eu l'habitude de l'austérité
dans une école contrainte par les réformes à ne faire travailler
les élèves que dans le plaisir. Et de toute façon, comment
combler toutes les lacunes accumulées avec un horaire de quatre heures
par semaine ? En outre, et c'est là une réalité qu'il faudrait
d'urgence prendre en considération, à 13 ans on est déjà
vieux. L'assimilation devient moins définitive, plus fragile. De plus
on est moins réceptif, d'autant plus qu'on entre dans l'âge rebelle.
Les automatismes qu'il aurait été si facile d'intégrer
dans la tendre enfance deviennent inaccessibles et l'on est quasiment perdu
pour l'orthographe et une maîtrise convenable du Français. Lors
c'est l'apprentissage des autres langues qui devient à son tour problématique
car on ne possède pas de langue de référence pour assimiler
les tournures grammaticales étrangères.
Pour en finir avec le primaire, il serait temps, également, de revenir
à un apprentissage systématique du calcul. Dans leur écrasante
majorité, les 6ème ne possèdent plus leurs tables de multiplication,
ne savent pas diviser, ne connaissent pas, en un mot leurs techniques opératoires
et c'est un autre scandale. Un petit élève de primaire est une
éponge qui apprend facilement et n'oublie pas : nous le savons, nous
qui nous souvenons encore parfaitement des poésies apprises dans nos
jeunes années. Il faut donc utiliser à fond cet âge. Plus
tard, il est trop tard. Il faut en finir avec la pédagogie imposée
du plaisir, du ludique, avec le dogme qui consiste aussi à interdire
aux instituteurs d'apprendre à leurs élèves quoi que ce
soit, s'ils ne l'ont compris d'abord. C'est une aberration : on peut faire des
divisions sans en avoir compris parfaitement le mécanisme. Une fois la
technique acquise, la compréhension vient quand l'enfant est prêt.
En revanche, plus on attend, plus il est difficile d'assimiler un mécanisme
même en multipliant les exercices de répétition.
L'âge où l'on apprend et retient durablement est la tendre enfance
: cessons de faire perdre un temps précieux au primaire à nos
enfants en une multitude d'activités amusantes certes mais peu instructives.
Ce temps perdu ne se rattrapera jamais.
Je demande donc
-que les contenus d'enseignements du primaire soient revus d'urgence,
- que la réforme du primaire imposée aux instituteurs et malheureusement,
acceptée par beaucoup d'entre eux sans esprit critique soit retirée,
- qu'on revienne aux fondamentaux, lire, écrire compter, appris de façon
cohérente et non de manière fumeuse, incomplète et déroutante
pour tout enfant qui n'a pas un milieu culturel suffisant chez lui pour s'en
sortir.
J'accuse l'école primaire d'être devenue une fabrique d'illettrés
qui ne conduit à la réussite que les enfants déjà
favorisés par leur famille.
Je soulignerai, en outre, que les enfants dits bons élèves au
sortir du primaire ont, de toute façon, un niveau et une maîtrise
des bases, insuffisants. L'école primaire ne nourrit plus les élèves
qui, de milieu favorisé ou non, sont capables d'assimiler dix fois plus
de connaissances et de méthodes qu'elle n'en enseigne. En outre, elle
laisse sur le bord de la route un bon tiers de ses effectifs : où est
l'égalité des chances dans cette façon d'enseigner et qui
n'a même pas le mérite d'amuser les enfants et de les épanouir
car beaucoup sont stressés par leur échec qu'ils perçoivent
parfaitement et qui les inquiète ?
III) Le désordre du collège
L'égalité des chances, pour être établie, doit également
passer par une plus grande implication des familles. L'assistance à tout
va des élèves et des parents est un échec.
Je prendrai l'exemple du collège, que je connais bien pour développer
ce point.
Les personnels du collège, à moins de se voiler la face ne peuvent
que reconnaître que, en dehors de quelques succès marginaux si
miraculeux que les enseignants en sont les premiers surpris, l'aide aux devoirs,
le suivi personnalisé, le soutien, les études dirigées
sont une débauche d'énergie et de moyens qui n'aboutit à
rien auprès des élèves déjà en échec.
On part dans tous les sens et on arrive seulement à donner l'illusion
aux familles que l'on prend tout en main. Et toutes ces heures sont perdues
pour les cours de Français et de mathématiques, de langues aussi,
où, du coup, on se contente de survoler. Ces heures de soutien peu efficaces
trompent donc tout le monde. Et l'illusion perdure car les parents, en bonne
logique, croient que le passage dans la classe supérieure signifie que
leur enfant suit. C'est une forfaiture qui doit prendre fin, elle aussi.
Actuellement, les enfants passent en sixième sans savoir lire et écrire
puis, si les parents le veulent, continuent de glisser de classe en classe,
jusqu'à la troisième. On commence également à faire
passer en seconde des élèves absolument incapable de suivre comme
c'est le cas chaque année pour plusieurs élèves de troisième
de Meymac à l'image de ce qui se passe dans tous les collèges
de France, sur ordre du ministère. Il faut arrêter de mentir. Le
passage en sixième ne doit plus être possible pour les élèves
ne maîtrisant par les bases qui, par ailleurs, doivent recommencer à
être enseignées avec bon sens.
Je disais que les heures de soutien ont été organisées
au détriment des heures de cours prélevées dans les matières
de base. D'autres heures ont été également volées
depuis les réformes Allègre et Jospin, confirmées par Luc
Ferry. Ce sont des heures immolées sur l'autel de " l'activite aiguë
" qui nous est imposée depuis une dizaine d'années par les
réformes : elle consiste à faire faire aux élèves
des " activités " qui noient les matières clés.
Mon fils, cette année, perd son temps, deux heures par semaine en itinéraires
de découverte creux et sans intérêt, et une heure en "
cours de CDI "( ?). Il n'y apprend rien, se réjouit seulement d'y
aller parce qu'il passe un bon moment avec ses copains. C'est lamentable. Je
préférerais qu'il puisse sortir du collège et faire autre
chose.Il faudrait au moins que le latin, remplace ces IDD débiles et
que les élèves qui en font, soient dispensés de se rendre
dans ces cours qui ne sont que des garderies.
Il est donc urgent de rétablir une hiérarchie dans les matières.
Nos élèves ne voient plus que leur moyenne générale
et beaucoup de parents aussi. Les bulletins sont désormais présentés,
en effet, de façon à donner l'impression que tout ce que font
les élèves au collège se vaut. Les parents se rassurent
en constatant que leurs enfants ont la moyenne générale calculée
sans mettre de coefficient d'importance aux matières. Ils croient donc
que leur enfant " a le niveau " ce qui est un mensonge. En effet,
pour espérer suivre au lycée et au-delà, il faut absolument
réussir au collège dans trois domaines : Français, mathématiques,
langues vivantes. Ces matières sont les seules qui ne peuvent être
suivies avec succès d'année en année s'il manque les bases
de l'année précédente.
Le Français, les maths, les langues vivantes sont sinistrés aujourd'hui
alors que la grandeur de notre pays, sa place dans les domaines de la recherche
et des hautes technologies, dépendent de l'apprentissage de ces matières
qui ont vu leurs horaires réduits à la portion congrue à
cause de l'égalité introduite entre les domaines enseignés,
et la mise en place de toutes ces activités et heures de soutien dévoreuses
de temps, instaurées tous azimuts sans jamais prendre le temps du bilan.
Les autres matières peuvent être abordées avec succès
même si on ne les a jusque là que peu ou pas travaillées.
Depuis quand ne dit-on plus ces vérités de base aux élèves
et à leur parents ? Passer des heures à rédiger un rapport
de stage et, durant ce temps, ne pas travailler ces matières-clés,
est grave. C'est pourtant ce qui se passe quand la hiérarchie des matières
n'est plus affichée et quand les matières secondaires se poussent
du col et se mettent à avoir des exigences de travail lourdes qui, tel
un écran de fumée, masquent les vraies priorités aux élèves.
Cela se passe ainsi à Meymac mais partout ailleurs aussi parce que l'on
applique les instructions officielles qui, dans ce domaine, obéissent
à une idéologie tirée de l'égalitarisme libertaire
de 1968 : refus de l'élitisme, tous égaux, tout au même
niveau et, à cause de ces idées socialement généreuses
certes, mais culturellement aberrantes, on détruit les chances de réussite
de nos enfants. Des matières qui ne devraient être que d'éveil,
épanouissantes, amusantes, comme le restent encore, Dieu merci, les Arts
Plastiques et la musique… ces matières : SVT, histoire-géographie,
technologie par exemple, se mettent à écraser à leur tour
les élèves de devoirs, d'exigences, de contrôles en tous
genres alors qu'elles devraient contribuer à enrichir la culture générale
des élèves, leurs capacités de réflexion mais, pour
le coup justement, dans le plaisir, leur laissant le temps nécessaire
pour travailler et garder pied en Français, mathématiques et langues
!
Aujourd'hui, seules les familles qui connaissent les ficelles, rétablissent
les priorités. On voit les autres parents se noyer avec leurs enfants
dans tel exposé totalement secondaire, dans la rédaction de tel
dossier ou rapport de stage, pendant que leur enfant perd pied en anglais. Ce
que je dis là est vrai à Meymac et dans les autres collèges
de France et c'est un autre scandale qui passe inaperçu.
Là encore, où est l'égalité des chances ?
Sur le point de l'égalité des chances, il me semble donc que l'école,
avec l'application des réformes mises en œuvre depuis trente ans,
a creusé l'écart qu'elle prétendait combler.
Certains chiffres que l'on trouve par exemple chez monsieur Prost, pédago
en partie repenti, sont frappants : ils montrent le recul des classes populaires
dans le recrutement des élites : jusque dans les années soixante,
environ 15 à 20% des étudiants des grandes écoles venaient
de familles très modestes. On est descendu depuis vingt ans à
5 à 7.
Un autre écueil vient depuis quelque temps contribuer à creuser
le fossé entre les enfants favorisés et les autres. Dans les matières-clés
mais aussi dans les autres, j'ai vu apparaître, ces dernières années
deux nouveaux profils d'enseignants, dont les rangs, malheureusement grossissent…
et qui pourrait leur en vouloir dans le contexte actuel ?
Ce sont des enseignants qui, de deux manières différentes, ont
baissé les bras face au grand écart épuisant qu'exige désormais
l'enseignement, dans des classes où se côtoient illettrés
et élèves très avancés.
Le premier profil est celui du professeur qui décide de ne tenir compte
que des élèves en perdition qu'il a en face de lui. Cet enseignant
baisse du coup considérablement ses exigences. Il met de bonnes notes,
ne fait pas faire grand-chose en cours. Tout le monde est content. Tout le monde
est trompé aussi car durant toute une année, les élèves,
avec ce professeur ne vont pas progresser.
. Quand un élève tombe sur un de ces professeurs… il y a
deux possibilités :
- soit il est d'une famille favorisée culturellement et la famille compense
comme je l'ai fait pour mes fils, comme le font nombre de parents que je connais.
- soit il est d'une famille où les parents ne peuvent ou ne veulent l'aider.
Alors l'écart se creuse avec ses camarades. L'année suivante,
il tombe sur un professeur du second profil et ses notes chutent de 18 à
2. Les parents horrifiés s'attaquent alors le plus souvent au nouveau
professeur qu'ils jugent responsable de la baisse de leur enfant et incompétent.
Le second profil est celui du professeur qui ne rabat rien de ses exigences.
Dans son cours, les deux tiers des élèves ne suivent pas mais
il avance quand même.
Là encore, l'enfant qui a des parents derrière lui aura les explications
nécessaires à la maison pour s'en sortir, au prix d'un travail
acharné d'ailleurs, car il lui faut assimiler chez lui un programme lourd,
à peine effleuré en classe, faute d'heures de cours en nombre
suffisant, faute donc d'avoir fait suffisamment d'exercices répétitifs
pour assimiler le nouveau point de grammaire, la nouvelle tournure de langue,
la nouvelle méthode de raisonnement algébrique ou géométrique.
Le professeur exigeant avance, dans son programme, au grand galop.
Les enfants non épaulés chez eux perdent définitivement
pied.
L'égalité des chances passe donc par un retour à des cours
exigeants et riches ouvrant la culture et l'instruction à tous. A quoi
bon une ou deux heures de soutien de plus par semaine quand les enfants sont
perdus dans le creux, et l'incohérence d'apprentissages de plus en plus
explosés ? Le résultat de ces décennies de pédagomanie
a en effet abouti à des bouts de cours éclatés, sans suite
cohérente et à des hiatus inadmissibles dans les niveaux exigés
selon le professeur sur lequel on tombe.
Un autre leurre doit être abandonné : la volonté de maintenir
à toute force tous les élèves dans le cursus d'enseignement
général, au nom, là encore, de l'égalité
des chances. Cette obligation, outre le mépris qu'elle sous-tend pour
l'enseignement professionnel, est génératrice de souffrance chez
de nombreux élèves.
Il faut arrêter d'imposer un enseignement général après
la cinquième aux élèves qui n'en veulent pas. La casse
de l'enseignement professionnel doit donc être stoppée. Il est
insupportable de voir actuellement des élèves qui savent déjà
ce qu'ils veulent faire, obligés de rester jusqu'à la troisième
alors que l'enseignement général ne les intéresse pas.
Du coup, ils travaillent peu et s'ennuient dans le meilleur des cas, et dans
le pire des cas, ils cassent les pieds à tout le monde et empêchent
les autres de travailler.
IV) La responsabilité des parents dans le naufrage actuel
L'attitude de certains parents, hélas de plus en plus nombreux, est aussi
une cause de l'inégalité des chances des élèves.
Ces parents ont trop souvent baissé les bras et s'en remettent de plus
en plus à une école qui par ailleurs n'instruit plus. En outre,
ces mêmes parents qui ne lèvent pas le petit doigt pour accompagner
leur enfant dans ses études, ne trouvent pas incohérent de se
comporter en consommateurs tout en dénigrant systématiquement
les professeurs.
Ils doivent d'urgence se souvenir que l'école est là pour instruire.
Ils doivent accepter que l'on punisse leur enfant, ne pas croire systématiquement
ce dernier en cas de conflit avec un enseignant, respecter et faire confiance
auxdits enseignants, au moins devant leur enfant : celui-ci, s'il voit que ses
parents et ses professeurs parlent d'une seule voix, sera évidemment
bien plus attentif en classe. Les réformes destructrices que je dénonce
n'auraient sans doute jamais eu lieu, si les gouvernements successifs n'avaient
pas été soutenus par des parents certes minoritaires mais très
actifs, haineux vis-à-vis de l'école traditionnelle et des enseignants,
réglant souvent les comptes de souvenirs d'enfance mal digérés,
au détriment de la qualité de tout un système. On en arrive
aujourd'hui au dilemme de l'œuf et de la poule : l'agressivité des
parents, individuelle ou soutenue par les associations de parents, a conduit
les enseignants à baisser peu à peu les bras. L'école est
donc devenue peu à peu indigne de sa mission républicaine ce qui
justifie aujourd'hui l'agressivité des parents… etc…
Si l'école doit balayer devant sa porte, les parents doivent donc le
faire aussi. Ils doivent, en particulier recommencer à s'impliquer dans
l'apprentissage des devoirs de leurs enfants. Comme beaucoup travaillent et
n'ont pas le temps, le mieux, me semble-t-il serait d'instaurer des études
du soir, payantes, selon un barème tenant bien entendu compte des revenus
et se déroulant après les cours et non sur des horaires de cours
réduits à la portion congrue.
Je suis convaincue, en effet, que tout soutien scolaire gratuit est très
vite considéré par les parents comme un dû et pis, les conduit
à ne pas s'occuper de leurs enfants puisque, croient-ils, l'école
le fait. Ces études, loin d'être un dû donc, devraient, en
outre, être réservées aux élèves assidus,
calmes et travailleurs. L'école devrait avoir le droit d'exclure les
fumistes.
Durant les études du soir, les élèves se consacreraient
aux leçons à apprendre et aux devoirs à faire. Ils sont
essentiels, au moins au collège, pour assimiler ce qui a été
fait dans la journée. Il y a vingt ans, en primaire, les instituteurs
recevaient tous les mois l'argent de l'étude, de la main à la
main, directement des parents. Ce système a été supprimé.
Cela partait certes d'un sentiment généreux, mais cela a contribué
à démobiliser un peu plus les parents. De plus, aucun système
d'études digne de ce nom n'a été instauré en remplacement
à l'école primaire.
Payer l'étude, y envoyer son gosse non parce qu'on ne sait comment le
faire garder mais parce qu'on veut qu'il réussisse, savoir que si l'enfant
ne s'y tient pas bien, ne progresse pas, il en sera exclu, ce serait un bon
début. En revanche, le coût devrait dépendre des revenus
: l'étude à 1 euros pour les chômeurs et précaires
et à 5 euros pour les notables et les riches, pourquoi pas ?Pour
conclure, je dirai que mon école idéale, au service de
l'instruction dans ses missions et de l'égalité des chances dans
son idéal, ne pourra exister que dans le cadre républicain. La
République est mise à mal actuellement par la logique marchande
de la rentabilité. L'école, où se joue l'avenir de nos
enfants et donc de notre pays, a commencé, d'ores et déjà
à en faire les frais. Il faut absolument arrêter ce qui a été
entrepris (légalisation du recours aux entreprises privées à
la cantine, suppression du statut de fonctionnaires d'Etat des TOS…).
Il me paraît évident que l'autonomie des établissements
que le ministre appelle de ses vœux et qui est une des raisons véritables
de l'organisation de ce débat national (je tiens à disposition
les documents le montrant)… cette autonomie donc, sonnerait le glas de
l'école républicaine, propriété de la Nation, offrant
les mêmes cours à tous partout, avec les mêmes programmes
avec des enseignants recrutés à des hauts niveaux d'étude…
seule façon d'éviter qu'ils manquent d'esprit critique face à
toutes les farces pédagomaniaques qu'on leur propose.
L'explosion de notre école républicaine ne conduirait qu'à
creuser un peu plus l'écart de plus en plus scandaleux entre les Français
aisés et culturellement favorisés et les Français abandonnés,
précaires, sans futur. Les réformes ont fait suffisamment de dégâts
: le peuple de 1789 doit dire stop !